1920

Source : num�ro 16 du Bulletin communiste (permi�re ann�e), 1er juillet 1920.


Manifeste du Parti R�volutionnaire des Indes
Un appel au prol�tariat britannique

MN Roy, Abani Mukherji, Santa Levi



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Le moment est arriv� pour les r�volutionnaires des Indes de faire devant le monde un expos� clair de leurs principes et de leurs buts. L'objet d'un tel expos� est d'int�resser le prol�tariat europ�en et am�ricain � la lutte des masses indiennes1, qui prend rapidement le caract�re d'un combat pour l'�mancipation �conomique et sociale et pour l'abolition du gouvernement de classe.

Ce manifeste s'adresse particuli�rement au prol�tariat britannique � cause de son rapport direct avec les mouvements r�volutionnaires croissant dans les diff�rents pays assujettis � l'imp�rialisme britannique.

Le mouvement nationaliste des Indes qui lutte pour l'ind�pendance politique et pour l'�tablissement d'un gouvernement d�mocratique est loin de satisfaire l'immense majorit� de la population des Indes, pour la raison qu'il ne peut dire en termes pr�cis comment les masses pourraient profiter d'une telle � existence nationale ind�pendante ï¿½. Un mouvement purement politique ne pourra jamais extirper les maux �conomiques et sociaux profond�ment enracin�s qui sont � l'origine du m�contentement populaire et qui ont conduit le peuple � l'action r�volutionnaire des masses. L'�mancipation de la classe ouvri�re des Indes r�side dans la R�volution sociale et dans la fondation d'un Etat communiste. Pour atteindre ce but, l'esprit de r�bellion croissant dans les masses de l'Inde doit �tre organis� sur les bases de la lutte de classe, en union �troite et en coop�ration avec le mouvement prol�tarien mondial. C'est parce que les Indes sont politiquement et militairement domin�es par un puissant imp�rialisme �tranger, qui prive le peuple des droits �l�mentaires indispensables � l'organisation d'une lutte �conomique et sociale, qu'un mouvement r�volutionnaire doit soigneusement �tablir dans son programme les conditions de la lib�ration politique du pays.

Mais ceci ne signifie pas que le but final de la R�volution doive �tre l'�tablissement d'une d�mocratie politique bourgeoise sous laquelle la classe privil�gi�e indig�ne remplacerait les capitalistes et les bureaucrates britanniques pour exploiter les travailleurs indiens.

Jusqu ici le prol�tariat britannique a �t� dans l'ignorance de la nature r�elle de la lutte r�volutionnaire aux Indes.

Le monde croit que le mouvement r�volutionnaire en ce pays n'est rien qu'une agitation pour l'autonomie politique ou l'ind�pendance compl�te. La presse capitaliste et le gouvernement de la Grande-Bretagne se sont toujours efforc�s d'interpr�ter l'agitation de l'Inde comme l'expression de l'ambition politique d'une poign�e de m�contents de la classe moyenne avec lesquels les masses n'ont rien � voir. Seuls, les conservateurs et les politiciens mod�r�s qui croient en une lib�ration anglaise et qui emploient une terminologie de r�publicains du 18e si�cle sont autoris�s � quitter les Indes publiquement et sans �tre molest�s. Ils font une propagande purement politique, attaquant la bourgeoisie de l'Angleterre et d'autres pays, critiquant la politique de l'exploitation imp�riale poursuivie par le gouvernement anglo-indien et plaident les droits sacr�s du peuple indien � l'ind�pendance politique et � une repr�sentation au gouvernement. Par � peuple indien ï¿½, ils entendent naturellement � la bourgeoisie indienne ï¿½. Cette forme d'agitation n'a tr�s naturellement pas r�ussi � entra�ner la sympathie et la coop�ration de la classe ouvri�re d'aucune r�gion.

En effet, la classe ouvri�re doit toujours rester indiff�rente aux aspirations purement nationalistes, ayant pour fin l'�tablissement de nouveaux d�mocrates bourgeois, avec la m�me division des classes en exploiteurs et exploit�s.

Mais l'id�e d'une lutte de classe consciente, contre l'exploitation capitaliste, a gagn� du terrain aux Indes, puissamment stimul�e par le d�veloppement de la guerre. L'acc�l�ration de la vie industrielle, l'�l�vation incessante du co�t de la vie, l'envoi de troupes indiennes en service d'outre-mer, et les �chos lointains de la r�volution russe, tout cela servit � exciter les germes de m�contentement qui ont toujours subsist� au c�ur des masses indiennes.

Le mouvement r�volutionnaire nationaliste, qui se recrute principalement dans les rangs de la jeunesse, instruite des classes moyennes, tenta de diriger ce m�contentement populaire vers une insurrection arm�e contre le gouvernement �tranger. Depuis le d�but de ce si�cle, le terrorisme et les soul�vements locaux deviennent de plus en plus fr�quents et s�rieux. Des conspirations secr�tes tendant � renverser le gouvernement furent d�couvertes et punies avec une s�v�rit� croissante : elles �taient trait�es de trahison parles gouvernants el d'anarchie par les meneurs politiques d�fenseurs de l'autonomie au sein de l'Empire. Au cours de la guerre europ�enne, diff�rentes tentatives de r�volte arm�e ont �t� r�prim�es et d�nonc�es comme intrigues germaniques. Finalement, tout le pays fut, en r�alit�, soumis au r�gime de la loi martiale.

Mais toute cette activit� r�volutionnaire ne pouvait inspirer aux masses un enthousiasme durable. La solidarit� nationale pr�ch�e par les meneurs dans cette phase du mouvement �tait purement sentimentale. Ces leaders, tout sinc�rement id�alistes qu'ils �taient, ne formulaient pas un programme portant rem�de aux souffrances sociales et �conomiques qui p�sent sur les travailleurs.

Mais les forces �conomiques dynamiques qui portent le prol�tariat � la r�volte dans tous les pays se sont d�velopp�es dans les Indes. Elles ont eu pour r�sultat de rendre de plus en plus manifeste l'esprit de r�bellion d'un peuple nourri jusqu'ici des doctrines purement nationalistes qu'on lui pr�chait depuis un demi-si�cle. Aujourd'hui, il y a deux tendances distinctes dans le mouvement indien, clairement d�finies quant aux principes et visant � des buts diff�rents.

L'un est le mouvement nationaliste qui veut des Indes politiquement autonomes et ind�pendantes et dont les chefs incitent la masse � renverser l'exploiteur �tranger, en pr�sentant un programme de vague d�mocratie et m�me sans programme aucun. L'autre est le vrai mouvement r�volutionnaire, poursuivant l'�mancipation �conomique des travailleurs et qui a derri�re lui la puissance croissante d'un prol�tarat industriel et agricole conscient.

Ce mouvement a d�pass� la compr�hension ou le contr�le des leaders politiques bourgeois, et le seul programme qui puisse satisfaire ses aspirations est celui de la r�volution sociale. Le pr�sent manifeste s'adresse � ceux qui appartiennent � ce mouvement. Nous voulons faire savoir au prol�tariat mondial que le nationalisme appartient par nature � la bourgeoisie, alors que le prol�tariat s'�veille � l'appel de la R�volution mondiale.

La croissance de la conscience de classe dans le prol�tariat indien resta inconnue du reste du monde jusqu'au d�but de l'an dernier, lorsqu'�clata une gr�ve g�n�rale des plus puissantes et des mieux organis�es que l'histoire ait connue, et qui, dirig�e par les r�volutionnaires indiens, se maintint pendant plus de trois semaines et �puisa tout le pays.

Quoique les meneurs nationalistes retirassent des avantages de celte action directe en l'utilisant comme une arme contre l'oppression politique, et en la pr�sentant comme une gr�ve de protestation contre le Rule Bill, il reste en fait que cette premi�re gr�ve g�n�rale dans l'histoire des Indes fut une r�volte spontan�e du prol�tariat contre l'insupportable exploitation �conomique. Le seul fait que les premiers gr�vistes furent les travailleurs du coton, des usines indig�nes, prouve suffisamment que la gr�ve n'�tait en rien une d�monstration nationaliste foment�e par des politiciens bourgeois. C'�tait une r�volte des exploit�s contre les exploiteurs, les uns et les autres indig�nes et �trangers. On n'ignore pas en Angleterre comment fut �cras�e par l'imp�rialisme britannique cette r�volte des ouvriers indiens affam�s. Toutes les armes meurtri�res de la guerre moderne ont �t� dirig�es contre les gr�vistes d�sarm�s. De front ou en les prenant par derri�re, les soldats ouvrirent le feu sur la foule des meetings. De paisibles manifestations d'ouvriers furent fauch�es par les mitrailleuses, les tanks, les autos blind�es et les avions de bombardement.

Comment le prol�tariat britannique r�pondit-il � cette r�volte de ses camarades indiens contre l'oppression capitaliste ? Et quelle fut son attitude envers la mani�re dont la r�action fut men�e ?

Malgr� toutes les preuves du contraire, le prol�tariat britannique crut apparemment que la gr�ve g�n�rale indienne �tait simplement une d�monstration nationaliste. Tromp� par ses chefs nationalistes, il s'abstint de toute action pr�cise en accord avec la solidarit� de classe. Une gr�ve g�n�rale simultan�e en Grande-Bretagne aurait donn� un coup mortel � l'imp�rialisme capitaliste de la m�tropole et de la colonie ; mais, malheureusement, le prol�tariat n'a pas profit� de l'occasion.

Le seul geste accompli fut tr�s faible et d'un caract�re petit-bourgeois. C'�tait une protestation publi�e au nom de la classe ouvri�re anglaise et sign�e par Robert Smillie, Robert Williams, George Lansbury et J.-H.Thomas, o� l'on ne pouvait pas reconna�tre la voix d'un prol�tariat r�volutionnaire soulev� pour d�fendre ses int�r�ts de classe. Les leaders du mouvement ouvrier anglais condamn�rent la fa�on dont fut vaincue la r�volte des Indes. Ils invoquent que par de telles mesures le gouvernement des Indes exposait � de graves dangers � la vie et les biens de femmes et d'enfants anglais aux Indes ï¿½. Comme de vrais disciples du lib�ralisme anglais croyant � la Soci�t� des Nations, ils plaid�rent le droit du peuple indien � la libre d�termination en r�clamant pour lui un gouvernement autonome. Ils �crivaient que l'imp�rialisme anglais �tait devenu fou, voulant dire par l� qu'il devrait agir plus raisonnablement pour accomplir sa mission de d�mocratiser les peuples arri�r�s qui sont plac�s sous sa d�pendance et sa responsabilit�.

Le mouvement nationaliste bourgeois aux Indes, qui n'est en aucune fa�on une lutte de classe, ne peut avoir d'importance pour la lutte prol�tarienne mondiale ni pour la classe ouvri�re anglaise qui �prouve journellement la vanit� de l'ind�pendance politique simple et du gouvernement repr�sentatif, illusoire dans l'organisation capitaliste de la soci�t�.

Mais l'importance d'un mouvement prol�tarien aux Indes, aussi bien que dans tout autre pays soumis � l'imp�rialisme britannique, doit int�resser vivement les travailleurs anglais.

Ils devraient non seulement cesser de rester indiff�rents � de tels mouvements, mais ils devraient en fomenter l� o� il n'en existe pas. La redoutable puissance que l'imp�rialisme capitaliste retire des possessions coloniales riches de ressources naturelles et de main-d'�uvre � bon march� ne peut �tre ignor�e plus longtemps. Aussi longtemps que les millions de producteurs des Indes et des autres pays colonis�s resteront sans secours, victimes de l'exploitation capitaliste, la destruction du r�gime capitaliste en Angleterre restera lointaine, sinon impossible. Aussi longtemps que le capitalisme britannique sera certain de conserver la ma�trise absolue sur des millions et des millions de b�tes de somme de ses colonies, il sera capable de satisfaire aux exigences conservatrices des trade-unionistes anglais et par l� de retarder la r�volution prol�tarienne qui finalement l'abattra. Pour chaque penny conc�d� aux travailleurs de la m�tropole, une livre sterling sera vol�e � leurs camarades des colonies.

Manabendra Nath Roy, Abani Mukherji, Santa Levi

Note

1 La traduction parue dans le Bulletin communiste parle de masses � hindoues �, terme vieilli et incorrect que la MIA a remplac� par � indien ï¿½ dans ce texte, o� le sens du terme n'est clairement pas religieux.


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