1908

Traduit de l'allemand par Gérard Billy, 2015, d'après la réédition en fac-similé publiée par ELV-Verlag en 2013

Karl Kautsky

Karl Kautsky

Les origines du christianisme

IIIème partie. Le judaïsme.
1. Israël

h. La ruine d'Israël

1908

A partir de Teglath-Phalasar Ier (de 1115 à 1050 avant J-Ce environ ), les Assyriens entament, avec des interruptions périodiques, leur grande politique de conquête qui les rapproche de plus en plus du pays de Canaan. Ces robustes conquérants appliquaient aux vaincus une nouvelle méthode de traitement, qui allait être fatale aux Israélites.

Au stade du nomadisme, le peuple tout entier était intéressé aux expéditions militaires, elles rapportaient quelque chose à tout le monde. Soit elles étaient une simple occasion de pillage, soit elles servaient à conquérir un pays fertile dans lequel les vainqueurs s'établissaient en exploiteurs aristocratiques de la masse populaire des autochtones.

Au stade de l'agriculture sédentaire, la masse de la population, les paysans et les artisans, n'avaient plus rien à attendre d'une guerre de conquête. Ils avaient en revanche tout intérêt à ce qu'une guerre défensive fût couronnée de succès, car en cas de défaite, ce qui les menaçait, c'était la perte de leur liberté et de leur terre. Les grands négociants, par contre, étaient partisans d'une politique expansionniste appuyée sur la force des armes, ils avaient besoin que soit assurée la sécurité des routes commerciales et des marchés à l'étranger, ce qui ne pouvait se faire qu'en y occupant militairement au moins quelques places. La noblesse foncière, avide de terres nouvelles et de nouveaux esclaves, poussait dans le même sens. De même les rois, qu'attirait la perspective de rentrées fiscales accrues.

Mais tant qu'il n'y eut pas d'armée permanente ni de bureaucratie qu'on pût envoyer et installer en-dehors du pays, il n'était guère possible au vainqueur d'aller occuper durablement et administrer un pays vaincu. Après avoir copieusement pillé et sérieusement affaibli le peuple vaincu, le premier se contentait généralement d'une promesse de loyauté et d'un engagement à verser certaines prestations à titre de tribut, tout en laissant en place les classes dominantes du pays soumis et sans rien changer à sa constitution politique.

Mais l'inconvénient était que le vaincu saisissait la première occasion qui se présentait pour se débarrasser de ce joug odieux, en sorte qu'il fallait une nouvelle expédition pour le soumettre, ce qui bien entendu n'allait pas sans qu'on recourût aux méthodes les plus barbares pour châtier la « rébellion ».

Les Assyriens furent les premiers à imaginer un système qui promettait une plus grande longévité à leurs conquêtes : là où ils se heurtaient à une résistance opiniâtre voire faisaient l'expérience de rébellions à répétition, ils paralysaient le peuple en lui coupant la tête, autrement dit en procédant au rapt des classes dominantes, en bannissant les habitants les plus éminents, les plus riches, les plus intelligents et les plus aptes à la guerre, notamment ceux de la capitale dans une contrée éloignée où, sans les couches inférieures des classes dominées, ils étaient réduits à une totale impuissance. Les paysans et petits artisans qui restaient ne formaient plus qu'une masse confuse incapable de la moindre résistance armée contre les conquérants.

Salmanazar II (859-825 avant J-C) fut le premier roi assyrien qui pénétra dans la Syrie proprement dite (Alep, Hama, Damas) et est en même temps le premier qui nous parle d'Israël. Dans un rapport cunéiforme de 842, il mentionne entre autres un tribut versé par le roi israélite Jehu. Et ce raaport est illustré. Il s'agit de la première image d'Israélites qui nous soit parvenue. A partir de cette date, Israël eut des contacts de plus en plus étroits avec l'Assyrie, que ce soit pour payer un tribut ou pour se rebeller, cependant que se développait de plus en plus chez les Assyriens la pratique du bannissement des couches supérieures des peuples vaincus, en premier lieu des peuples rebelles. Ce n'était plus qu'une question de temps avant que, face aux Assyriens invaincus et apparemment invincibles, le jour de la fin ne vînt pour Israël aussi. Il n'était effectivement pas nécessaire d'avoir un grand pouvoir de divination pour le prédire, comme le faisaient avec tant de véhémence les prophètes juifs.

Pour le royaume du nord, la fin arriva sous le règne d'Osée, qui, comptant sur l'aide égyptienne, refusa en 724 de payer le tribut. Mais il n'y eut pas d'aide égyptienne. Salmanazar IV partit pour Israël, battit Osée, le fit prisonnier et assiégea sa capitale Samarie, qui ne put être prise qu'au terme d'un siège de trois ans par Sargon, successeur de Sanchérib (722). La « fleur de la population » (Wellhausen), 27290 personnes selon les récits assyriens, fut alors déportée dans des villes assyriennes et médiques. Le roi assyrien les remplaça par des gens venus de villes rebelles de Babylonie « et les installa à la place des Israélites dans les villes de Samarie. C'est ainsi qu'ils prirent possession de la Samarie et habitèrent dans ses villes » (2. Rois 17, 24).

Ce n'est donc pas toute la population des dix tribus septentrionales d'Israël qui fut déportée, mais seulement les couches supérieures des villes, où furent ensuite installés des étrangers. Mais cela suffit à mettre fin à la nationalité de ces dix tribus. Le paysan n'est, par lui-même, pas en mesure de fonder une communauté politique particulière. Quant aux citadins et aristocrates transplantés en Assyrie et en Médie, au fil des générations, ils se fondirent dans leur nouvel environnement.

 

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